» Alors, ça mord?… »
Je l'ai vu arriver, sur le sentier longeant la rive. Je l'ai vu d'un œil, tandis que l'autre continuait à suivre le fil dérivant dans le courant.
Je l'ai senti dans mon dos, je l'ai senti s'arrêter. J'attends.
"Alors, ça mord?"
J'en étais sûr, une fois encore, une fois de plus!
Je feins la surdité, ne dit-on pas que passer trop de temps une gaule à la main rend sourd? Ca peut Marcher,
"Alors, ça mord?", deux tons plus haut!
Je ne vais pas lui échapper.
Que dois-je faire?, l'ignorer et passer pour un moins que rien?, lui dire oui?, lui dire non?. Le plus simple serait de lui dire la vérité, mais c'est là que se mesure l'abîme qui sépare la pêcheur du piéton commun. La vérité touche à l'intime, elle ne se partage pas avec un inconnu à 8 heures du matin, d'ailleurs, elle ne se partage pas, elle se vit.
Je suis arrivé au bord de l'eau à la naissance du jour. J'ai vu de grandes masses noires se transformer en arbres, suivi du regard un renard se désaltérant. J'ai surpris deux chamois descendus de leur escarpement enneigé pour venir goûter aux pousses fraiches. Je me suis enivré aux chants des oiseaux, cuvée de printemps, la meilleure, celle des amours. Je pêche depuis deux heures et que cela morde ou pas n'a aucune importance!. Comment lui expliquer?
Je vais tout de même tenter une réponse. Je me retourne, il est déjà parti.
En fait, "ça mord?", ce n'est pas une question. C'est une manière de dire: "Je sais pourquoi tu es là, j'ai quelques gènes, hérités d'un lointain ancêtre, chasseur - pêcheur - cueilleur, qui me rendent ton geste familier".
La grande différence entre son ancêtre et moi, c'est que lui était au bord de l'eau pour se nourrir et que cela morde ou pas avait une influence sur le repas du soir.
Si lors d'une prochaine ballade, vous tombez sur un pêcheur, je vous en prie, ignorez-le. Il vous en sera reconnaissant. La canne à pêche est une baguette magique qui vous emmène dans un monde où les non-pourvus de l'accessoire n'ont pas leur place. Laissez-lui le temps de plier ses gaules, redevenir un piéton commun. Certaines questions n'auront alors plus d'importance.
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