L’estran

J'aime l'estran, cette partie du littoral appartenant à la mer, qui se dévoile à marée basse.

Je l'arpente au lever du jour, scrutant à la surface de l'eau le moindre remous trahissant un bar en chasse. Pour peu qu'il s'intéresse à mon leurre, le labrax finira au menu du jour.

J'aime cet espace éphémère qui se parcourt à heures fixes après avoir rituellement consulté l'annuaire des marées.

L'estran, c'est la mer qui retire légèrement un pan de sa jupe, découvrant une partie de ses secrets à l'amoureux de passage.

Les crustacés se cachent sous les cailloux à l'abri du soleil. Pour le crabe, le gobie prisonnier d'un minuscule trou d'eau, la marée, c'est la fin du monde deux fois par jour... La surface de la vase quant à elle, percée de milliers d'orifices, trahit les mollusques enfouis: à chaque trou son animal. Ce petit trou rond, d'où s'élève un minuscule geiser, c'est celui d'une lutaire. Ce trou là, en forme de 8, c'est celui d'un couteau. L'escargot quant à lui, se prend pour Miro ou Chillida en traçant sur le sable des formes improbables.

Parcourir l'estran procure un sentiment étrange, on s'y sent juste toléré. C'est comme visiter une maison en l'absence de son propriétaire, il y a de l'intrusion. A moins que la mer ne se retire exprès, que ce soit elle qui nous invite à entrer, que soucieuse de notre condition de bipède, elle préfère laisser la place.

Avant la construction, en 1971, du pont qui la relie au continent, l'île de Noirmoutier n'était accessible en voiture que par le Gois, une route de 4 kilomètres, construite sur l'estran, uniquement praticable à marée basse. Les vacanciers, qui avaient parfois roulé toute la nuit devaient attendre que la mer se retire pour pouvoir atteindre leur Terre Promise.

Cette histoire de mer qui se retire pour pouvoir laisser passer un peuple élu m'amuse et m'en rappelle une autre, beaucoup plus ancienne...

Comme quoi, à chacun ses lectures: Le guide Michelin pour les uns, l'Ancien Testament pour les autres.

Je n'ai pas fini d'aimer l'estran.